Notre langue régionale : le poitevin-saintongeais


     Le poitevin-saintongeais, aussi appelé parlanjhe, est la langue, différente du français, parlée sur le territoire qui s’étend de la Loire au nord à la Gironde au sud, d’où ce nom. Cette langue couvre le Poitou, les Charentes (Saintonge, Aunis, Angoumois) et la Vendée, qui forment, ensemble, une région historique et culturelle, mais aussi des zones plus éparses au nord de la Gironde, le sud de la Loire-Atlantique, quelques communes de l’Indre et de Dordogne, sur le bord du Lot-et-Garonne proche de l’enclave de Monségur.

     A partir du IXe siècle, émerge la dynastie des Guilhem, à la fois ducs d’Aquitaine et comtes du Poitou qui va régner sur une région immense, la grande Aquitaine, qui s’étendait de la Loire aux Pyrénnées. Le palais des comtes du Poitou est aujourd’hui occupé par le Palais de justice de Poitiers. Sous le règne de Guillaume IX (1086-1127), comte de Poitiers, duc d’Aquitaine et de Gascogne, le Poitou et la Saintonge sont entièrement tournés vers le sud et le sud-est occitan.

     Guillaume IX, surnommé «le Troubadour», est le premier poète connu de langue romane sur le territoire de l’ancienne Gaule. Sa langue, plutôt nord-occitane, n’est peut-être pas très éloignée de celle du peuple: en s’appuyant notamment sur les toponymes en –ac, on peut dire qu’au XIei   le pronom personnel (je) suit un traitement comparable à celui de l’occitan ieu (moi), à partir du latin ego. Un mot aussi essentiel à la langue indique une communauté historique et linguistique ancienne. siècle, la limite nord de l’occitan atteignait Poitiers. Mais des parlers nord-occitans ont pu confiner à la Loire, comme le suggère les traits grammaticaux de type occitan conservés dans les parlers actuels du nord-ouest du Poitou. 

     Le voyageur qui franchit aujourd’hui la Loire à Nantes trouve rapidement des toits de tuiles rondes à faible pente au lieu de toits pointus d’ardoise de Bretagne: autant que la pluviométrie, c’est une culture plus méridionale qui explique ce changement architectural.

     Dans son palais de Poitiers, Aliénor d’Aquitaine, dernière héritière des comtes du Poitou, protège les troubadours comme Bernard de Ventadour. Sa cour, où se produit la rencontre de la poésie courtoise du sud et la littérature d’inspiration celtique, est à ce moment la plus brillante d’Europe.

     Sous la dynastie des Guilhem, le Poitou et la Saintonge connaissent une relative prospérité. Au XIe et XIIe siècles, la région se couvre d’églises et d’abbayes romanes. La littérature de cette époque est en langue romane d’oc. Outre Guillaume IX, l’histoire a retenu les troubadours Jaufré Rudel de Blaye (XIIe siècle), Rigaut de Barbezieux (vers 1141), Savary de Mauléon (XIIIe siècle).

     Cependant, le Poitou et la Saintonge ont basculé vers le nord et les fonctionnaires royaux imposent la langue du roi de France. Les rares textes littéraires du milieu du XIIIe siècle sont écrits dans une langue composite, et avec les chartes farcies de formes locales, ils témoignent d’une langue différenciée.

     Les premiers textes conservés en poitevin-saintongeais, à l’état de manuscrits, datent du XIe siècle, marquant par la langue cette place particulière et originale de la région entre domaine d’oïl et d’oc.

     Le premier texte imprimé en poitevin-saintongeais, lui, le fut en 1555. C’est au milieu du XVIe siècle, parmi les humanistes de Poitiers, que Jean Boiceau, utilisant la langue régionale, non pas seulement par jeu linguistique, mais pour se livrer à une satire morale, voire sociale et politique va faire éditer le Menelogue de Robin. Avocat au présidial de Poitiers, nouveau converti aux thèses de Calvin qu’il accueillera à Poitiers, c’est un véritable pamphlet contre la justice qu’il commet. Par la suite, et jusqu’à aujourd’hui, une multitude d’ouvrages en poitevin-saintongeais seront publiés.

Description du poitevin-saintongeais

     Le poitevin-saintongeais résulte de l’articulation du latin par les Pictons et les Santons sous l’influence des Francs moins forte que dans le reste du domaine d’oïl. On peut aussi considérer qu’un parler occitan remontant à la grande Aquitaine a été recouvert par un parler d’oïl.

     Depuis une vingtaine d’années, une graphie spécifique au poitevin-saintongeais a été mise au point et est utilisée, permettant une certaine cohérence pour ce qui est de l’enseignement, où il existe, et de l’édition. Contrairement à l’idée reçue que la langue change de village en village, cette graphie repose sur une vision unitaire de cette langue. Ainsi, une lettre ou un groupe de lettres pourront représenter plusieurs prononciations locales. Un groupe de lettres comme –ea (du suffixe latin –ellu), qui existe depuis les chartes médiévales, correspond à la prononciation [éa] dans des parties importantes de la région mais aussi à [ia], [ai], [a]: chapea (chapeau). Les mots sont situés dans leur histoire et le lexique (consonnes finales et voyelles nasales fixées en fonction de l’origine et des dérivations): chaçour: chasseur, bén [bin] (bien), abenàe (arranger).

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LA VARIÉTÉ Saintongeaise

Le tiers nord-est de la Charente-Maritime, ïle de Ré comprise, qui correspond à l’Aunis, et le nord de la Charente suivent la phonétique et la morphologie poitevines. Plus au sud, on constate des finales en – au lieu de –àe dans les mots tels que poumié / poumàe (pommier), des voyelles longues au lieu de diphtongues dans bàete (bête), les infinitifs: chantàe (chanter)
Au pluriel, daus a été supplanté par le français dés. Çheù (ce) est le démonstratif masculin au lieu de çhau. I (il, ils) devant consonne, et il devant voyelle remplacent le, l’ (il, ils). Le pronom personnel sujet i (je, nous), encore vivant au sud de Saintes au XIXe siècle, est remplacé par le français jhe–i, et les conditionnels en –ri: ces désinences sont comparables à celles de l’occitan en –ia et –ria: jhe fasi (je faisais) prononcé avec une expiration dite «saintongeaise», mais qu’on retrouve dans le Marais du nord-ouest de la Vendée et dans le sud du Poitou.

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